
"Inaction" climatique: les décrocheurs de portraits de Macron à la CEDH

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se prononce jeudi sur le recours formulé par 11 militants écologistes condamnés au pénal pour avoir décroché des portraits d'Emmanuel Macron, un dossier qui trouve une résonance particulière devant l'actuelle vague de chaleur.
"Nous sommes en pleine canicule, on ressent beaucoup plus les effets du dérèglement climatique qu'il y a quelques années. Donc le message de notre action est toujours valable, mais depuis il y a eu plusieurs années de procrastination du gouvernement, qui désormais recule sur le droit de l'environnement", estime Pauline Boyer, l'une des "décrocheuses" du réseau Action Non-Violente - COP21, qui revendique la désobéissance civile comme moyen d'action.
"Il est très facile pour les pouvoirs et les industries de nous pointer du doigt et de nous accuser de trouble à l'ordre public, en espérant détourner l'attention, alors qu'à cause d'eux, la population et les écosystèmes vont payer le prix de l'inaction climatique."
Mme Boyer fait partie des 11 militants (10 Français et un Belge) qui ont intenté un recours devant la CEDH pour contester leurs condamnations à des peines d'amendes avec sursis allant de 200 à 500 euros pour avoir décroché des portraits du président de la République en 2019 dans des mairies d'arrondissements à Paris, mais aussi à La Roche-de-Glun (Drôme) et à Lingolsheim (Bas-Rhin).
Ils estiment que ces condamnations constituent des atteintes "disproportionnées" à leur liberté d'expression, garantie par la Convention européenne des droits de l'Homme.
- "Violation symbolique" -
"Nous espérons que la CEDH valide la nouvelle forme d'expression collective que constituent ces actions de désobéissance civile qui consistent à réaliser des performances politiques en commettant une violation symbolique de la loi pénale pour attirer l'attention du public sur des sujets d'intérêt général", résume Paul Mathonnet, avocat des décrocheurs parisiens.
Il rappelle que ces actions avaient été pensées "pour qu'il n'y ait ni atteinte portée, ni atteinte subie par qui que ce soit" et souligne que les portraits du président de la République sont des "objets symboliques mais pas officiels".
La Cour de Cassation avait au contraire estimé, dans un arrêt du 18 mai 2022, que la condamnation des décrocheurs "n'était pas disproportionnée au regard de la valeur symbolique du portrait du président de la République", du "refus de le restituer tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites", et du fait que le vol "a été commis en réunion".
Pour les avocats des requérants, les critères retenus par la Cour de cassation pour valider ces condamnations manquent "de pertinence et de cohérence".
- Une "forme d'expression" -
"Le propre de ces actions de désobéissance civile est justement d'être commis en réunion. C'est ce qui garantit la légitimité et la visibilité de ces formes d'expression collective", estime Me Mathonnet. "Pour ce qui est de la valeur symbolique du portrait du président de la République, c'est précisément ce qui motive ce type d'action."
Enfin, il défend "la logique" de la non-restitution des portraits, "tant que les politiques ne sont pas modifiées".
Mais au-delà de ce débat juridique, il appelle surtout la CEDH à "prendre acte" et "protéger" cette "forme d'expression" militante, qu'il qualifie "d'intérêt général".
"Il y a un aspect générationnel: la lutte contre le dérèglement climatique et l'utilisation de ces nouvelles formes d'expression sont ce dans quoi s'investit toute une génération", analyse l'avocat. "Si la CEDH ne le protège pas, elle commettrait une erreur d'appréciation importante dans sa compréhension des sociétés démocratiques européennes contemporaines."
Cependant, depuis ces premiers dossiers de décrocheurs, et sans attendre la décision de la CEDH, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence.
Le 29 mars 2023, elle avait validé la relaxe prononcée à l'encontre d'un autre groupe de décrocheurs, relevant "l'absence d'atteinte à la dignité de la personne du président de la République" et rappelant que "les changements climatiques constituent un sujet d'intérêt général". Elle avait aussi souligné la valeur modique du portrait, 8,90 euros (cadre non compris).
Selon l'ONU, l'année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, couronnant une décennie "extraordinaire de températures record".
L'actuelle vague de chaleur qui touche la France a également établi plusieurs nouveaux records de températures.
P.Johnston--TNT